Naturevolution démarre un projet de reboisement autour du massif du Makay pour le protéger. A cette occasion, nous dressons en 6 articles un état des lieux de la déforestation, de ses causes, des actions initiés par les gouvernements, des initiatives en terme de reforestation, et enfin de toutes les actions possibles pour lutter contre la déforestation.
Introduction
Une grande partie de la déforestation dans le monde résulte de la surconsommation des populations urbaines (ou consommant de façon similaire) et de l’augmentation de leur niveau de vie, dans une économie mondialisée où les accords de libre-échange se multiplient. En tant qu’européens, nous sommes parmi les premiers concernés.
Un niveau de vie plus élevé se traduit souvent par une augmentation de la consommation de viande, de produits contenant de l’huile de palme, de chocolat, d’essence et de pneus pour la voiture, etc. Nombre de ces produits sont liés à la déforestation.
La déforestation engendrée par notre consommation est dite ‘importée’, car elle est causée dans d’autres pays du monde : des endroits où la déforestation est soit encouragée par le gouvernement local, soit n’est pas combattue faute de moyens ou de volonté politique. Ce sont malheureusement ces pays-là – comme le Brésil, l’Indonésie et la RDC – qui contiennent aujourd’hui les dernières grandes forêts tropicales de notre planète.
Si vous lisez cet article, il y a fort à parier que vous appartenez à cette part de la population mondiale qui est suffisamment favorisée (même si vous n’en avez pas l’impression !) pour avoir un impact sur des forêts à l’autre bout du monde. La bonne nouvelle ? Notre pouvoir en tant qu’européens pour peser sur la déforestation n’en est que d’autant plus fort ! Tour d’horizon.
Devenir végétarien/végan (ou presque)
L’élevage bovin et la culture du soja qui est exporté comme aliment du bétail dans de nombreux pays du monde sont la première cause de la déforestation en Amérique du Sud. Selon Greenpeace, l’élevage bovin serait responsable de la destruction de près de 63% de la forêt amazonienne, et la situation est aujourd’hui pire dans les grands bassins forestiers adjacents. Au niveau mondial, l’élevage est responsable de 73% de la déforestation (FAO, 2020).
Une bonne partie de cette déforestation est attribuable aux européens qui sont le 2ème importateur mondial de soja. Si les viandes de bœuf et d’agneau ont une empreinte environnementale complètement démesurée sur le climat et qu’il vaut mieux les abandonner complètement, les volailles européennes sont presque intégralement nourries au soja importé. Ainsi, « l’impact déforestation » des volailles françaises est 6 fois plus important que celui de la viande bovine. Bref, il n’y a pas vraiment de ‘viande de remplacement’.
Pas convaincu ? Lisez le rapport complet de Greenpeace :
Mordue de viande – l’Europe alimente la crise climatique par son addiction au soja.
Une méta-étude scientifique publiée dans la revue Science en 2018 et portant sur 119 pays, 38.000 fermes, et 90% de tout ce qui est mangé à travers le monde, donne des chiffres vertigineux sur l’impact de la viande : au niveau mondial, 83% des terres agricoles sont utilisées pour la production de viande et de produits laitiers (83%!), tout ça pour ne produire que 37% des protéines et 18% des calories… tout en générant 60% des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole !
Les impacts considérés par l’étude vont de l’utilisation des terres (déforestation, pesticides, perte de la biodiversité et des milieux naturels, etc.) aux émissions responsables du changement climatique, en passant par la consommation d’eau et la pollution (eau, air). Difficile de faire plus exhaustif. L’étude a été peu relayée en France mais on trouve un article détaillé en français ici, ainsi qu’un article très complet en anglais sur The Guardian.
L’étude souligne également que la ‘viande responsable’ n’est pas une solution de remplacement : « la viande et les produits laitiers les plus ‘durables’ (plus petit impact) ont un impact beaucoup plus important que les végétaux et les céréales les moins durables. » Une conclusion qui rejoint les constats du rapport de Greenpeace ci-dessus.
Il est bon de noter certains effets pervers du commerce mondial : la viande européenne, par exemple, largement nourrie avec du soja importé, est elle-même exportée. La France, où la consommation de viande rouge décroît depuis plus de 20 ans, vient d’obtenir de la Chine la levée d’un embargo de 17 ans sur l’importation de la viande de bœuf : le gouvernement français espère exporter plusieurs milliers de tonnes de bœuf français vers la Chine, alors que l’accord de libre-échange avec le Mercosur prévoit d’augmenter l’importation de viande de bœuf d’Amérique du Sud ! Ce qui nous amène au point suivant : l’action du gouvernement et les moyens pour les individus de peser dessus.
Peser sur les décisions publiques
Via les élection : voter, et pas pour n’importe qui :)
On se lamente en France de l’inaction du gouvernement sur les questions environnementales et climatiques. Mais les électeurs continuent de porter au pouvoir des candidats et des partis politiques qui font bien peu en terme de défense du climat et de la biodiversité. Emmanuel Macron et LRM portent un programme libéral qui vise à signer plus d’accords de libre-échange (dernièrement le CETA avec le Canada et l’accord avec le Mercosur), et à donc augmenter le commerce mondial au lieu de favoriser le local. Leurs engagements en terme de climat et de biodiversité ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux en cours.
Même suite à la démission fracassante de Nicolas Hulot, les élections européennes ont continué de favoriser LRM et le Rassemblement National (ex-FN). Le score de EELV, bien qu’acclamé, n’a été qu’autour de 17% et les autres partis politiques (PS, LFI etc.) qui ont un programme solide sur l’environnement ont fait encore moins. Alors n’oubliez pas que les élections sont un des moyens à disposition de faire changer les choses, et que l’environnement est le sujet le plus important du 21ème siècle.
Via la justice
Las d’attendre la concrétisation d’engagements politiques en matière d’environnement, des groupes de citoyens ont porté l’affaire devant les tribunaux dans plusieurs pays : aux Pays-Bas (avec succès!), en Colombie, en Afrique du Sud, etc. En France, quatre ONG (l’Affaire du siècle, la FNH, Greenpeace et Oxfam) ont décidé d’attaquer l’Etat français en justice pour qu’il respecte ses engagements climatiques et protège nos vies, nos territoires et nos droits : ajouter votre signature à L’affaire du siècle.
Faire reconnaître le crime d’Écocide – Un vaste mouvement mondial (et notamment européen) défend la reconnaissance légale du concept d’écocide, ou de crime contre l’environnement, ce qui offrirait bien plus de moyens juridiques d’assigner états et entreprises privées en justice pour les dégâts causés à l’environnement. En savoir plus par ici : le site End Ecocide on Earth et l’entrée Écocide sur Wikipédia.
Via l’activisme
Les grandes avancées en matière d’environnement ou de droits sociaux ont été obtenus par de petits groupes d’individus motivés qui ont su rassembler et faire pression sur le politique et les groupes privés, via différentes méthodes, notamment médiatiques. Rentrer dans le détail n’est pas le but de cet article, mais il n’en reste pas moins que l’activisme est un des moyens les plus efficaces pour obtenir des avancées significatives. Il existe des groupes locaux un peu partout en France et en Europe, focalisés sur diverses causes environnementales. On peut citer notamment les groupes locaux des Amis de la Terre et le mouvement Extinction Rebellion. Découvrez également La carte des luttes pour découvrir les grands projets inutiles et nocifs à côté de chez vous (certains ont des liens avec la déforestation dans le monde, d’autres avec le climat ou encore les milieux naturels et la biodiversité en France).
Changer de banque
Les banques ont une immense part de responsabilité dans la crise climatique et la destruction des forêts par leurs investissements. L’ONG Global Witness a mené une enquête sur le rôle des banques françaises dans la déforestation : il apparaît que « depuis l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance en 2017, trois banques françaises – BNP Paribas, Natixis et le Crédit Agricole – soutiennent des entreprises associées à la déforestation ». L’association française Canopée incrimine notamment BNP Paribas qui soutient le ‘soja de la déforestation’ en Amérique du Sud à hauteur de plusieurs milliards de dollars.
Entre 2013 et 2019, le secteur financier français a appuyé cinq des six entreprises agro-industrielles les plus nocives (…), directement ou indirectement impliquées dans des activités de déforestation dans les trois plus importantes forêts tropicales du monde, à savoir l’Amazonie brésilienne, le bassin du Congo et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce soutien, à hauteur de près de 2 milliards d’euros, fait de la France le deuxième plus gros contributeur de fonds à ces entreprises dans toute l’UE. – La finance flambeuse, Global Witness
Ce sont souvent les mêmes qui aggravent la crise climatique : une étude publiée par Oxfam et les Amis de la Terre indique que « les investissements de 4 banques françaises (BNP Parisbas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE) ont produit 4,5 fois plus de C02 que la France entière en 2018. »
Il n’a jamais été aussi facile de changer de banque et de transférer ses comptes, par exemple au Crédit Coopératif (comptes courants et livrets épargne) ou à La Nef (livrets épargne). Il existe également une nouvelle initiative, Hélios, mais que nous n’avons pas creusé.
Soutenir des associations de protection des forêts
Voter avec son portefeuille, avec son bulletin de vote et réduire sa consommation sont des actions puissantes qu’en tant qu’européens nous pouvons faire tout les jours. Mais ce ne sera pas suffisant ! De nombreuses ONG développent d’excellents projets sur le terrain pour préserver du mieux possible les forêts existantes, reboiser pour réduire la pression sur celles-ci, et développer des projets au bénéfice tant de la biodiversité que des communautés locales. Mais la protection de la nature ne reçoit qu’environ 3% de la philanthropie mondiale et les ONG – Naturevolution y compris – sont chroniquement en manque de financement pour mener leurs projets.
Après avoir monté des projets autour de l’activité économique (apiculture, écotourisme) et sociale (éducation, potagers scolaires), Naturevolution lance en 2019 le projet de reboisement « Forêts Villageoises » autour des villages du Makay tant pour réduire la pression sur les forêts du massif, que pour fournir des ressources aux communautés. Alors, faites un don pour nous aider ! Mensuel de préférence ;-)
Le chocolat et l’huile de palme
Oui, le chocolat ! La demande mondiale en terme de cacao est de plus en plus un moteur de déforestation. Si la déforestation est, en surface totale, la plus importante au Brésil, c’est le cacao qui est à l’origine des plus fortes accélérations de la déforestation en 2017 et 2018. Celles-ci ont lieu jusque dans les parcs nationaux d’Afrique de l’Ouest ! Lire à ce sujet l’excellent rapport de l’ONG Mighty Earth La déforestation amère du chocolat (2016), le rapport Petites Douceurs (2022) sur l’inaction des grandes marques sur le sujet, et regarder l’épisode Bitter Chocolate de la série Rotten sur Netflix.
France Nature Environnement s’est associée à Mighty Earth pour produire un classement des marques les plus connues. Vous pouvez également signer une pétition mais le plus efficace reste d’agir sur la demande.
L’huile de palme est quant à elle responsable de près de 20% de la déforestation dans le monde et se fait au dépens des dernières forêts tropicales primaires en Indonésie et, de plus en plus, en RDC. Il est à noter que l’huile de palme se cache dans de nombreux produits et est parfois invisible sur les listes d’ingrédients comme le dénonce l’ONG Foodwatch qui demande plus de transparence dans les étiquettes (pétition). Enfin, grâce à Total et au gouvernement français, l’huile de palme en France se cache principalement dans le réservoir de votre voiture !
Il n’est pas forcément opportun de bannir l’huile de palme pour la remplacer par une autre huile (qui pourrait avoir une empreinte environnementale pire), mais il faut réduire son niveau de consommation, éviter les produits alimentaires industriels riches en huile de palme, et tenter de s’assurer de sa provenance (une tâche encore ardue aujourd’hui). Vous pouvez également signer la pétition de Greenpeace contre la déforestation en Indonésie liée à l’huile de palme. A savoir que ces stratégies fonctionnent et que la déforestation liée à l’huile de palme a fortement baissé en Indonésie, mais qu’elle se déplacent vers d’autres régions (Congo RDC notamment).
Les pneus de voiture
La production de caoutchouc naturel a explosé depuis 2000 avec une augmentation de 75% de sa production mondiale notamment via la fabrication des pneus (70% de la production de catouchouc y est consacrée). C’est l’un des principaux facteurs de déforestation en Asie du Sud-Est, qui produit aujourd’hui la majorité du caoutchouc naturel utilisé dans le monde. Le WWF, Mighty Earth et Global Witness ont dénoncé la déforestation, les accaparements de terres et l’éviction des communautés locales et des peuples autochtones en Indonésie, en Malaisie, en Thaïlande, au Cambodge et au Laos (voir la vidéo ci-dessous).
Que faire ? Prendre moins la voiture pour commencer (ce qui réduit aussi notre consommation d’huile de palme et les émissions carbone), mais aussi n’acheter que des pneus avec un bon indice d’usure pour maximiser leur durabilité, ou des pneus reconditionnés et fabriqués en France, ou demander une certification (FSC ou équivalent) du caoutchouc de ces pneus.
Et le reste : le cuir, le papier, le bois, etc.
Le cuir, le papier, le bois et autres commodités ne sont plus les principaux moteurs de la déforestation au regard des autres menaces, mais ils y contribuent.
Le cuir – Le cuir est parfois presque plus le moteur de l’élevage intensif que la viande elle-même. Loin d’être un produit dérivé de l’industrie de la viande, c’est parfois la viande qui devient un sous-produit de l’industrie du cuir, faisant de celui-ci une cause majeure de la déforestation en Amérique du Sud. Par ailleurs, le traitement des peaux utilisent des produits hautement toxiques souvent rejetés dans l’environnement et les ouvriers qui travaillent dans les tanneries sont exposés à une pollution extrêmement toxique (voir cette vidéo).
Le papier – Si vous avez des impressions à faire chez vous, ou à commander pour le compte de votre entreprise, choisissez des papiers certifiés, mais pas avec n’importe quels labels. Privilégiez les papiers 100% recyclés ou avec des fibres vierges certifiées FSC. Le mieux reste d’avoir des papiers qui associent 2 certifications ou plus, comme le label FSC, le label Ange Bleu ou l’Écolabel Européen.
Les labels Imprim’Vert ou PEFC souvent mis en avant en France offrent très peu de garanties car ces labels ont été mis en place par, respectivement, les imprimeurs et les papetiers eux-même.
Le bois – Pour l’achat du bois (parquet, meubles, mobilier de jardin, etc.), privilégiez le bois certifié FSC. En l’absence de ce certificat, privilégiez les meubles réalisés à partir d’essences de bois locales (hêtre, chêne, châtaignier…) ainsi que les circuits courts. Greenpeace donne quelques conseils supplémentaires sur cette page.
La limite des gestes individuels
Etendons la question à la crise climatique et à celle de la biodiversité dans leur ensemble : Manger moins de viande, prendre moins l’avion, rouler en vélo et autres ‘petits’ gestes individuels… cela sera-t-il suffisant pour sauver le climat et la biodiversité ? Pas complètement, d’une part parce qu’il est utopique de penser que tout le monde appliquera ces gestes, d’autre part car des changements aux racines des problèmes sont nécessaires et que celles-ci sont souvent hors d’atteinte par les gestes quotidiens (d’où la nécessité de l’activisme, de voter et de porter gouvernements et entreprises en justice).
Mais faut-il pour autant ne rien faire, en se disant que « ça ne sert à rien » ? Bien au contraire ! Les changements de comportement sont indispensables. Les plus impactants d’entre eux permettent d’atténuer la gravité de la situation. Par exemple, entre 1990 et 2010, le seul poste de consommation des français qui a vu son empreinte carbone diminuer a été l’alimentation, grâce à la diminution importante de la consommation de viande rouge, diminution liée à l’époque aux scandales sanitaires et à des préoccupations de santé (lire les bilans publiées par Carbone 4 ou l’article de terraeco), mais de plus en plus motivée par la protection du climat et des forêts.
Surtout, faire un choix de consommation ou de non-consommation est une manière de changer sa relation au monde, de prendre conscience de son impact et de pousser la réflexion plus loin. Des études ont également montré que les changements d’opinion et de comportement dans la population se traduisaient par des changements au niveau politique. Et bien entendu, il faut associer les gestes individuels aux autres moyens décris dans les paragraphes ci-dessus ‘Peser sur les décisions publiques‘ et ‘Soutenir un projet de reforestation‘. Tout commence donc par nous !
Toute la série d’articles
- (1/6) La déforestation : un état des lieux en 2019
- (2/6) Déforestation : chronologie d’une (in)action gouvernementale ?
- (3/6) Le reboisement : opportunités et limitations
- (4/6) Comment agir contre la déforestation ?
- (5/6) La déforestation à Madagascar et dans le massif du Makay
- (6/6) Pourquoi protéger les forêts du Makay ?
Un article de Yann Bigant et Gaëtan Deltour