Le premier regard est souvent décevant

Le Camp 1 et ses piscines

Mauvaise nuit donc pour beaucoup due à ces coléoptères insupportables. Mathias et Hanitra ont abandonné leur prospection. Sylvain a dû mettre sa frontale au bout d’un bâton pour ne pas avaler les bestioles et est même revenu dormir quelques minutes au camp avant de repartir après la pluie. Une pluie salvatrice qui a fait disparaître les envahisseurs et qui a permis à ceux qui avaient résisté de continuer à travailler tranquillement et fraichement.

Au réveil, les nouvelles ne sont pas réjouissantes. A l’exception de Sylvain qui semble toujours trouver son bonheur, les autres sont déçus car ils n’ont rien trouvé ou peu de choses. Ils décrivent déjà le milieu comme très pauvre en espèces et ravagé par les flammes. J’ai tenté de relativiser (les précédentes expéditions m’ont déjà permis de vivre ce genre de réaction) et de les pousser à aller plus loin que les alentours du camp et à prospecter dans le grand patch de forêt à un kilomètre au sud. Avec Max, nous avons en effet observé depuis la falaise en amont, de grands arbres un peu plus loin et quelques sifakas (Propithecus verreauxii).

Toute la journée, les départs se succèdent avec pour tout le monde, une pause bien méritée à midi pour cause de chaleur écrasante. Les premiers caméléons, serpents, fougères, … débarquent au camp et sont immédiatement traités dans les « labos » respectifs des uns et des autres. Chris est également revenu avec dans son sac deux cadavres (un faucon et un lémurien (Eulemur Fulvus Rufus)) qui font que son passage est remarqué si vous voyez ce que je veux dire. Merci Chris pour ces odeurs, tu pourras surement jeter ton sac en rentrant.

Nicolas se lâche au plongeoir

Quelques instants plus tard, en manipulant un serpent, Emlyn s’est faite mordre assez salement et même si aucun serpent n’est dangereux, la morsure et le petit venin de celui-ci ont suffi à la clouer quelques heures dans sa tente. Cela me fait penser que notre nordique Vladimir s’est quant à lui fait piquer par un scolopendre sur les marches de l’escalier à Beroroha, en pleine nuit et alors qu’il dormait. Le scolopendre est une sorte de mille pattes extrêmement agressif et très venimeux. C’est pour moi, le principal danger de ses forêts, un danger nettement plus important que le scorpion qui ne pique que si on lui marche dessus ou si on l’attaque. Mais fort comme un lion, Vlad n’a rien dit, s’est levé, à changer d’emplacement et s’est rendormi. Il avouera simplement le lendemain avoir eu « un peu » mal à l’épaule.

Au campement, les toilettes ont été installées et nous avons même une « Miqueline », vous savez la dame pipi d’Elie Semoun! En effet, la tente de David est sur le chemin de ce trou creusé et couvert d’une planche en bois trouée également. Il n’a pas encore mis de récipient pour percevoir ses pièces mais il fait très bien le : « y’a quelqu’unnn!!! » ou le « Merkiiii!!! »

La petite surprise du jour est venue de Mathias qui, parti poser ses pièges Sherman dans la forêt le long d’un transect tracé par Christopher et Ny, est revenu à la nuit tombée avec un magnifique petit Mirza. Le Mirza est un petit lémurien nocturne qui a longtemps été classé dans le genre Microcébe. Il en existe aujourd’hui deux espèces. Mirza zaza que l’on trouve plutôt dans le nord-ouest de l’île et Mirza coquereli qui est probablement celui capturé par Mathias car c’est également celui que nous avons également vu en janvier 2010 et qu’Ed Louis a capturé en décembre dernier. Nous avons craint une mauvaise action des locaux (ils les mangent habituellement) et après leur avoir expliqué ce que nous voulions faire de cet animal, nous l’avons caché et lui avons même monté une tente à l’ombre pour qu’il puisse passer la journée de demain avant que Mathias le ramène et le relâche au même endroit et à la même heure.

Un bébé Mirza

Le tonnerre a grondé comme d’habitude dès 14h mais la pluie n’est cette fois pas venue. Pourtant le soir était presque agréable et les coléoptères presque absents.

Jessica et moi en avons profiter pour lancer une discussion avec les villageois qui nous accompagnent pour comprendre leurs motivations à brûler et leur regard sur leur environnement. Le bilan est malheureusement toujours le même. Ils ne comprennent pas ce que nous faisons là. Pour eux, la forêt ne sert à rien. Ils la brûlent donc chaque fois un peu plus pour donner de la nouvelle herbe verte pour les zébus. Et savoir que lorsqu’il n’y aura plus de forêt, il n’y aura également plus d’herbe verte quelques temps plus tard et donc plus de zébu, ce qui les amènera forcément à devoir se déplacer voire à leur fin, ne les importe pas une seconde. Comme disent certains fumeurs: « il faut bien mourir de quelque chose !!!»
C’est la première fois que Jessica découvre une inconscience pareille et son dégout n’en est que plus grand. L’incompréhension mutuelle semble totale.

Il est temps d’aller se coucher.

7 réflexions au sujet de « Le premier regard est souvent décevant »

  1. Concernant les fady, il pourrait peut-être être intéressant de regrouper toutes les histoires (vraies) de feux ayant eu des conséquences funestes (destruction de troupeaux, de villages, de cultures, pertes en vies humaines, destructions de lieux sacrés comme les tombeaux, etc.). La tradition des fady étant essentiellement orale, récolter et colporter ces histoires pourrait changer le regard des locaux sur les incendies volontaires et leurs conséquences.

    Mais comme le remarque Christian, c’est un travail à long terme.

  2. Non, je n’ai pas discuté des feux de brousse avec les habitants du coin lors de la mission de décembre. Le poids des traditions est évidemment important car, par exemple, les fady (interdits) sont nombreux et respectés [se décoiffer lorsque l’on pénètre dans certaines grottes, ne pas manger certains animaux,…], au moins par les personnes que nous avons côtoyées (Pierre, Paul et Gaston, locaux importants, Narindra, « vaza » de Tana, villageois…). Mais j’ai aussi l’impression qu’il n’y a pas de remise en question de certaines pratiques et qu’il n’y a pas de conscience de la dégradation de leur environnement. D’autre part, il me semble également clair qu’il faut plus qu’une mission de quelques semaines pour gagner tout naturellement leur confiance et qu’ils acceptent d’aborder certains sujets peut-être sensibles.
    Comment rendre fady les feux de brousse, la consommation des lémuriens,…? Les locaux ont probablement conscience, dans les endroits les plus vulnérables où la régénération de la végétation est la plus lente, de scier leur propre branche. Mais ils en changeront ! ou du moins pensent pouvoir en changer quand les conditions le leur imposeront.
    Soyons positifs : en occidentaux donneurs de leçons, nous avons torpillé notre environnement depuis plus de 8000 ans et les mouvements verdoyants ne fleurissent que depuis quelques décennies. Les Malgaches ont 6000 ans d’avance !
    Vive le Makay et Vive Naturevolution !

    • Comment rendre fady les feux de brousse et la consommation des lémunriens ?
      A cela j’ajouterai aussi comment ne plus rendre fady la consommation des potamochères et pintades, deux espèces introduites qui font de véritables ravages dans les écosystèmes et qui sont pourtant des mets de choix ?

      Bien d’accord avec toi.

  3. Pour ajouter à la compréhension des raisons des feux de brousse, faites donc comme le conseille makaynature ), lisez Armelle de Saint-Sauveur…
    Pour résumer, le droit des Bara à exploiter un terrain est conditionné à (1) une sorte de droit ancestral, mais révocable à tout moment, (2) une autorisation du « sorcier » et (3) l’entretien régulier du terrain. Par les feux de brousse, qui sont considérés comme l’entretien de la pâture, les éleveurs tentent donc de conserver leurs droits fonciers.
    Cette tradition de « foutre le feu » est certainement au moins partiellement expliquée par la volonté de garder le droit au sol.

    Le texte plus complet est : « Le terme « Les autochtones », les topontany, qualifie un groupe qui a le premier établi un lien privilégié avec un territoire. Ce lien repose sur une alliance passée avec les esprits de la nature qui sont les vrais propriétaires du territoire, les esprits topontany (Fauroux 1997 et 2000). Grâce à l’intervention d’un devin ombiasy, les esprits accordent à un clan ou un lignage le droit d’exploiter un territoire et d’en exclure les personnes extérieures au groupe. Celui-ci reçoit donc une maîtrise exclusive (Le Roy 1996). Mais ce droit est révocable à tout moment par les esprits, si les interdits qu’ils imposent ne sont pas respectés, si le groupe accumule du havoa (blâme des ancêtres), ou même sans raison connue. La rupture d’alliance s’exprime par des malheurs répétés subis par les villageois, qui ne tardent pas à changer alors de lieu d’implantation (Fauroux 1997).» [p. 247]
    « En l’absence d’exploitation et de surveillance, il est difficile de conserver des droits fonciers pastoraux. Les éleveurs disent souvent qu’un pâturage sans zébus n’a pas de maître (tsy misy topo) et que s’il n’utilisent plus un pâturage, celui-ci est considéré comme libre. L’exploitation est parfois entretenue, en l’absence de bétail, par la pratique des feux. Les éleveurs tentent ainsi de conserver leurs droits fonciers. La non-exploitation d’un pâturage est perçue comme un début de renoncement à la maîtrise foncière, mais c’est l’abandon de la surveillance qui scelle vraiment ce renoncement. Il s’agit là d’un acte physiquement observable, à travers l’abandon ou le déplacement d’un point de contrôle kizo, et formellement déclaré aux autorités administratives.» [p. 254] Armelle de Saint-Sauveur « Prévention des vols de bétail chez les agropasteurs bara » in Cormier-Salem Marie-Christine « Patrimonialiser la nature tropicale : dynamiques locales, enjeux internationaux ».

    • Merci Christian pour ces précisions argumentées.
      Seulement, ce qui est étrange avec les populations locales, c’est qu’à aucun moment ils ne verbalisent vraiment cette « obligation d’entretien régulier pour garder la propriété du terrain », as-tu une idée de la raison ? Est-ce parce que c’est entré dans les coutumes et que plus personne ne sait d’où cela provient ? En tout cas, c’est l’impression que ça nous donne à nous occidentaux quand on leur pose la question. On en vient à penser qu’ils le font par habitude ou respect de ce que les anciens ont fait et reproduisent les mêmes actions sans les remettre en question et sans se demander si c’est toujours adapté à la situation actuelle…
      Avais-tu pu échanger avec les locaux sur ces sujets lors de la précédente mission ?

  4. Ah, well. Better the snakes than the crocodiles!!!

    Although, from the Babelfish translation, it was not entirely clear whether Emlyn or the snake had to spend several hours in the tent!!

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