Les amphibiens du Makay menacés de disparition !!!

L’histoire dont nous allons parler ici est extraordinaire et mérite toute votre attention.


Vous savez que lors de nos deux dernières expéditions, certains membres de notre équipe, plus précisément les herpétologues ont travaillé sur les reptiles et amphibiens du Makay. Ceux-ci ont principalement cherché dans tous les recoins du massif, de jour comme de nuit, serpents, caméléons, iguanes, lézards, geckos et grenouilles. La mission de novembre-décembre 2010 s’est révélée plus propice aux amphibiens (le début de la saison des pluies y était pour quelque chose) tandis que la mission de janvier 2011 s’est, elle, avérée plus propice aux serpents et autres reptiles.

Elodie Courtois et Justin Claude Rakotoarisoa (membre de l’association Mitsinjo), ont donc eu tout le loisir de suivre, écouter, enregistrer, capturer, mesurer, photographier et identifier de nombreuses et adorables grenouilles ainsi que d’en prélever parfois de petits morceaux à des fins de futures analyses ADN. Tout ceci étant les opérations classiques d’une mission d’inventaire de la biodiversité. Mais à cette panoplie, Elodie a ajouté, grâce au Dr. Dirk Schmeller (Station d’Ecologie Experimentale du CNRS, Moulis), une autre étude. Elle a en effet passé sur la peau de toutes ses grenouilles une sorte de coton tige. Chaque coton tige était ensuite soigneusement rangé dans des tubes hermétiques.

De retour en France, elle a délégué les études morphologiques et génétiques de ses spécimens au Dr. Chris Raxworthy de l’American Museum de New York (présent sur le terrain en janvier 2011) et s’est concentrée sur l’étude des coton tiges.

Un champignon nommée Batrachochytrium dendrobatidis

L’idée était, grâce à ces prélèvements, de détecter la présence ou non d’un champignon nommé Batrachochytrium dendrobatidis (alias “chytrid fungus” ou “Bd”). Batrachochytrium dendrobatidis est un champignon du groupe des moisissures qui contribue à décomposer la matière organique morte. Mais il est aussi capable de décomposer les substances cornées de la peau des amphibiens (toute la peau chez l’adulte, et la zone buccale chez le têtard). Or chez les amphibiens, la peau est un des organes les plus importants, impliqué dans la respiration, l’hydratation, l’osmorégulation et la thermorégulation. Les amphibiens ont en général une peau fine, perméable et la plupart des espèces respire au moins partiellement par la peau. Certaines espèces n’ont même pas de poumons et respirent totalement par la peau. Sur la peau des grenouilles, l’installation du champignon conduit alors à une hyperkératose, c’est à dire un épaississement qui peut atteindre jusqu’à 40 fois l’épaisseur normale. Cette épaississement mène à un dysfonctionnement majeur des fonctions normales de la peau empêchant notamment l’échange de gaz et finissant par asphyxier l’animal. Cette maladie infectieuse émergente appelée Chytridiomycose, connue depuis les années 1980, est généralement fatale et est responsable de dramatiques diminutions de populations voire d’extinctions de nombreuses espèces d’amphibiens dans le monde.

30% des espèces mondiales d’amphibiens sont d’ores et déjà affectées. L’UICN estime qu’au rythme des 10 dernières années, cette maladie va conduire à l’extinction la plus rapide qui ait jamais eu lieu depuis que l’humanité existe, quel que soit le groupe taxonomique considéré. Sur les seules 30 dernières années, cette maladie a causé le déclin tragique ou même l’extinction (parfois en seulement une année) d’au moins 200 espèces de grenouilles, même dans des endroits vierges et reculés.
Les hécatombes, d’abord observées en Australie puis en Amérique latine il y a une dizaine d’années, sont aujourd’hui rapportées partout dans le monde. En France, des extinctions massives ont été recensées depuis 2003 chez plusieurs espèces d’amphibiens, notamment le remarquable crapaud accoucheur ou la salamandre tachetée. Madagascar était jusqu’ici épargné.

Malheureusement, le test d’Elodie s’est révélé positif sur quelques grenouilles prélevées dans une toute petite forêt du Makay. Si l’arrivée de ce champignon n’est pas une surprise, c’est donc la première fois qu’il est découvert à Madagascar et ce pays présentant 4% des espèces mondiales d’Amphibiens et un taux d’endémisme record de 99% (en savoir plus sur l’endémisme des espèces à Madagascar), cette nouvelle est une véritable catastrophe car ce champignon microscopique se répand à toute vitesse.

Origine

Il est difficile de connaître l’origine exacte de l’infection. De nombreux indices laissent à penser qu’il aurait été introduit dans l’hémisphère nord par un Xénope, une grenouille originaire d’Afrique du sud. C’est ensuite la fameuse grenouille taureau, porteur sain du champignon, qui aurait favorisé sa propagation depuis les Etats-Unis jusqu’en Europe. Pour le moment, le champignon se développe préférentiellement en altitude où, d’après les observations des chercheurs, il anéantit presque 100 % des crapauds infectés.

Dans notre cas, il nous est bien difficile actuellement de savoir comment ce champignon est arrivé dans le Makay. Plusieurs hypothèses sont possibles :

  • La forêt contaminée est un des points les plus accessibles du Makay, point de passage de tous les groupes de touristes qui ont pénétré dans le massif depuis plus d’une dizaine d’années maintenant. Or, la maladie est observée dans des zones souvent très touristiques et où « les gens en se promenant le long des sentiers peuvent propager l’infection sans le savoir » prévient Dirk Schmeller, du CNRS.
  • Etant donné la rapidité de propagation de la maladie et bien que nous n’ayons à l’époque pas travaillé sur les amphibiens, il n’est pas exclu que notre expédition de janvier 2010 en soit à l’origine, puisque nous sommes également passés par cette forêt.
  • Cette forêt a beau être éloignée des villages, elle n’en est pas moins fréquentée toute l’année par les habitants des villages alentours – en grande majorité des Dahalo – et leurs zébus qui parcourent de grandes distances dans tout Madagascar et ont ainsi pu véhiculer le pathogène.
  • L’arrivée de la chytride peut également être liée à l’introduction de poissons venus d’ailleurs. Or, non loin de cette forêt, se trouve une zone de lacs où au moins deux espèces de poissons ont été introduites par les pêcheurs locaux il y a de nombreuses années, dont le Tilapia. Il n’est donc pas exclu que ces introductions soient à l’origine de la contamination.

Préservation

Quelle que soit l’origine de cette contamination accidentelle, des mesures doivent être prises de toute urgence pour la préservation des amphibiens du Makay et pour prévenir toute propagation de la maladie au reste de l’île. En 2010, craignant une telle introduction du pathogène Batrachochytrium dendrobatidis, l’ « Amphibian Specialist Group (ASG) », un groupe de chercheurs sous la direction du Dr. Franco Andreone, a proposé différentes mesures d’urgence dans le cadre du Madagascar Amphibian Conservation Action plan. Cette cellule d’urgence a été immédiatement avertie de la découverte du champignon dans le Makay et Naturevolution s’est mise à sa disposition pour prendre les mesures nécessaires à la préservation des amphibiens du Makay et de l’ensemble de l’île.

Car on ne connait malheureusement pas à ce jour de mesure efficace pour contrôler la maladie dans la nature et chez les populations sauvages. Elle se diffuse très rapidement et continue à se propager. Le champignon très ubiquiste ne semble pas pouvoir être éliminé dès lors qu’il a colonisé une région.

À l’occasion de certaines baisses de population attribuées au champignon B. dendrobatidis, on a trouvé des espèces ou groupes d’individus résistant à l’infection. Certaines bactéries symbiotiques de la peau des amphibiens semblent augmenter la protection de certains d’entre eux face aux spores du champignon, mais cette piste n’a pas débouché sur des solutions permettant de lutter contre la maladie.

Des études en laboratoire suggèrent également que le champignon supporte mal les températures élevées – ce qui expliquerait pourquoi la chytridiomycose se développe principalement sous les climats frais – et qu’exposer les amphibiens infectés à des températures élevées peut éliminer le champignon. Cependant, cela n’empêche pas la maladie de se développer aussi dans les régions tropicales.

On peut enfin espérer que grâce à leur isolement, les amphibiens malgaches aient développé une forme de résistance au champignon mais ce ne peut être pour l’instant qu’un rêve.


Aujourd’hui, les solutions proposées pour éviter la propagation du champignon d’une zone infectée sont :

  • L’isolement des populations d’amphibiens en les maintenant en captivité jusqu’à la restauration de leur habitat et jusqu’à ce que les zoospores (parties transmissibles du champignon) soient tuées ou rendues inactives.
  • La bioaugmentation, c’est à dire l’emploi de microbes adaptés pour booster la fabrication par les défenses immunitaires des grenouilles d’une bactérie anti-champignon qu’elles produisent naturellement dans leur peau. Plusieurs espèces de bactéries logées sur la peau se sont en effet montrées capable de bloquer le développement du champignon. L’espoir est qu’un nombre d’individus sauvages puisse être isolé en captivité et soigné de cette manière afin de permettre la survie de suffisamment d’individus pour maintenir une population dans une zone contaminée.
  • L’interdiction de transport d’amphibiens d’un bassin versant à un autre,
  • La désinfection du matériel de pêche et de navigation avec des biocides, comme l’eau de Javel non diluée ou l’alcool à 70% (à ne pas répandre dans la nature car toxique pour toutes les espèces et risquant de provoquer l’apparition de souches résistantes),
  • L’interdiction du tourisme (voir plus haut),
  • La déshydratation (séchage complet des bottes, chaussures, matériels),
  • Le chauffage (5 min. à 60 °C suffisent).

Sources :

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