On pensait le Makay dépourvu de crustacés après les expéditions de 2010 et 2011… Mais il n’en est rien ! Durant l’expédition Makay 2017, différentes espèces ont été découvertes pour le plus grand plaisir des Carcinologues (personnes qui étudient les crustacés).
Informations générales
Les crustacés font partie des animaux les moins étudiés de Madagascar. Et pourtant : le taux d’endémisme de ces espèces sur la Grande Ile est proche des 100% (il existe quelques espèces introduites) et leur rôle est essentiel dans les différents écosystèmes.
Les crustacés sont des arthropodes (qui possèdent des appendices articulés) présentant un squelette externe formé d’un revêtement organique incrusté de sels minéraux (généralement du calcaire). Le corps est structuré en trois parties:
- Une tête, ou céphalon
- Un thorax, ou péréion
- Un abdomen, ou pléon
Parmi les crustacés les plus connus à Madagascar on peut citer les écrevisses (Parastacidae), les crabes (Potamonidae) et les crevettes (Atyidae et Palaemonidae). Mais il existe aussi des familles de crustacés un peu moins connues, les branchiopodes (cladocères, notostracés, anostracés…), les copépodes, les ostracodes etc.
Et à Madagascar, parmi les 106 espèces de crustacés malgaches de la base de l’IUCN, 1 % des espèces sont classées « En danger », 4 % « Vulnérables », 66% « Préoccupation mineure », 29 % « Manque de données » (iucnredlist.org, 2017).
Les techniques de collecte
Prospection dans les rivières
Pour les cladocères et les crevettes : prospection active des milieux constituant les habitats favorables aux crustacés, soit la zone benthique (au fond) du cours d’eau, les amas de végétaux ou les mares du lit majeur.
Pour les crabes et les crevettes : fouille manuelle, sous les pierres et les arbres, sur des lignes de transect de 50 mètres.
Récolte dans les mares temporaires
Dans les mares semi-permanentes, des échantillons ont été prélevés avec un filet à maille de 200 micron, puis examinés sous loupe binoculaire.
Pour les rizières et les mares asséchées, il n’a pas été possible de collecter des individus vivants. Du sédiment a donc été prélevé et examiné sous loupe binoculaire pour détecter la présence d’œufs de résistance (oeuf possédant une enveloppe externe dure pouvant survivre à des périodes d’assèchement du milieu). De retour en France, ces sédiments ont été mis en aquarium pour reproduire les conditions naturelles d’inondation. Plusieurs nouvelles espèces ont pu ainsi être inventoriées. L’étude de ces sédiments se poursuit actuellement.
Découverte du premier crabe du Makay
Si les crabes dulçaquicoles (d’eau douce) sont largement répandus dans tous les cours d’eau et une partie des eaux stagnantes ou semi-stagnantes de l’île, très peu de données existent quant à leur distribution géographique. Des travaux sont à mener pour préciser les aires de distribution de chaque espèce de crabe ainsi que leurs préférences écologiques.
Ce crabe découvert pendant l’expédition est la première espèce scientifiquement recensée dans le sud-ouest malgache, une belle pierre apportée à nos connaissances sur la répartition et la diffusion de ces animaux encore largement méconnus. Un spécimen est aujourd’hui en cours d’étude pour déterminer si l’espèce est déjà connue parmi les autres espèces de Madagascar, ou s’il s’agit d’une nouvelle espèce.
En revanche, plus remarquable au niveau scientifique, certaines espèces de cladocères trouvées dans le Makay n’ont précédemment jamais été observées à Madagascar (notamment faute d’études ciblées sur cette faune). Nous sommes là sur un cas typique de biodiversité négligée, mais non point importante pour le fonctionnement des écosystèmes.
D’autres espèces ont été aussi découvertes : 1 espèce de crevette, 5 branchiopodes, 9 cladocères, plusieurs ostracodes. Leurs études se poursuivent actuellement.
Le rôle des crustacés dans l’environnement
L’intérêt écologique des crustacés comme les cladocères et autres espèces planctoniques est multiple. On en retiendra principalement deux : leur rôle trophique et leur rôle épurateur.
Rôle trophique
Les cladocères se nourrissent en transformant la matière organique microscopique par filtration : phytoplancton, sédiments, bactéries… en matière vivante riche en protéines qui sera exploitée par les prédateurs du chaînon supérieur. Leur valeur nutritive est considérable : tous les alevins, de nombreuses larves d’insectes, voire même jusqu’aux oiseaux, utilisent cette nourriture.
Rôle épurateur
Les nutriments, nitrates, phosphates et sels minéraux dissous dans l’eau sont utilisés par les bactéries et les algues planctoniques qui, quand elles sont trop abondantes, peuvent colorer l’eau en vert. Le zooplancton et en particulier les cladocères (daphnies, cériodaphnies, etc.) interviennent alors. L’effet épurateur résulte de leur mode d’alimentation.
De ces particules filtrées, le crustacé extrait les éléments dont il a besoin et rejette le résidu dans ses fèces qui tombe au fond de l’eau (sédimentation). Les éléments physiques et chimiques qui étaient en suspension se retrouvent ainsi piégés dans le sédiment et l’eau s’en trouve plus limpide et plus pure. Le point faible de ces organismes est leur sensibilité à la pollution et aux pesticides. Ils peuvent bio-accumuler certaines substances toxiques, c’est dire les ingérer sans pouvoir les éliminer et ainsi les transmettre au reste de la chaîne alimentaire.
Menaces sur la biodiversité aquatique
Les écosystèmes et la biodiversité aquatique en général sont sujets à de nombreuses menaces à Madagascar : d’une part, du fait des activités humaines (déforestation, aménagements, pollution et surexploitation des ressources aquatiques), et d’autre part en raison des catastrophes naturelles pendant la saison des pluies (cyclones). La biodiversité aquatique est fortement influencée par la qualité des eaux et par l’état de santé des habitats naturels.
Dans le Makay, la déforestation sur les pentes des bassins versants est la principale menace sur la biodiversité aquatique, la pollution étant à ce jour inexistante. Les sols des surfaces déforestées sont d’abord lessivés par les eaux de pluies, avant d’être soumis à une érosion non contrôlée. Les sédiments sont alors transportés par les cours d’eau en direction de la mer, et une bonne partie se dépose au fond de l’eau. Cette sédimentation a la fâcheuse conséquence d’amener au comblement progressif des lacs et des zones marécageuses, ainsi qu’à la réduction de la superficie des plans d’eaux.
D’un point de vue évolutif, le Makay est un peu différent du reste de Madagascar car il est lessivé depuis plusieurs milliers d’années et l’érosion très active se poursuit et impose des contraintes très particulières sur un écosystème qui s’y est adapté au cours du temps. Là où les feux de forêts primaires engendrent un appauvrissement de la faune, suivi d’une érosion importante à Madagascar, dans le Makay, de nombreuses forêts primaires ont déjà été remplacées par des boisements secondaires qui limitent encore l’érosion dans un environnement déjà adapté à ce phénomène. Les sédiments comme le sable siliceux du Makay sont pauvres en nutriments et ont conduit à des modifications de la végétation et de la biocénose (ensemble des êtres vivants coexistant dans un espace écologique donné).
Au final, cette érosion intense finit par causer des dommages au milieu aquatique du Makay, à sa faune, et donc aux échelons supérieurs de la chaîne alimentaire. Les écosystèmes côtiers situés près des embouchures, comme les mangroves et les récifs, sont également affectés par ce surplus de sédiments.
En conclusion
Un long travail reste à accomplir par les carcinologues dans l’étude des crustacés du Makay. Aujourd’hui, des équipes de recherche malgaches, françaises et américaines travaillent à l’identification et à la description des spécimens récoltés durant la mission Makay 2017 et devraient dans les prochaines années, voire les prochains mois, proposer un premier inventaire pour ce groupe.
Remerciements
Dans le cadre de ce travail, nous souhaitons remercier les chercheurs et étudiants présents sur le terrain notamment Jean-François Cart, Darikaoui Soudjay, Andrianaivo Ranaivosolo, Megann Texereau ainsi que les écovolontaires ayant participé à la mission. Grand merci à Nicolas Rabet, Neil Cumberlidge et Sebastian Klaus avec qui des collaborations sont en cours.
Merci à Barbara Réthoré et Julien Chapuis de l’équipe de NatExplorers pour les photos et la relecture.
Un article par Gaëtan Deltour / Naturevolution.