A l’occasion du panthéon du Treewashing, nos regards peuvent se tourner dans bien des directions pourtant une est mieux dégagée que les autres : celle déforestée par Tesla pour mener à bien la production de ses voitures électriques. Si il est facile pour Elon Musk de faire croire aux bienfaits environnementaux de son entreprise, il est bien plus difficile d’ouvrir les yeux et de mesurer l’impact des métaux nécessaires à leur fabrication. En prenant l’exemple du nickel, nouvel or vert de l’Indonésie, cet article décrypte les coulisses de la transition énergétique, de ses lobbies et les actions de ceux qui s’engagent pour préserver ce paradis de biodiversité. Pendant que certains se réjouissent de ce prétendu remède miracle pour la mobilité future, les arbres tombent et notre véritable bouclier contre le changement climatique avec.
En 2019, Elon Musk avait donné 1 million de dollars au projet #teamtrees lancé par le youtubeur star MrBeast qui consistait à planter un arbre pour chaque dollar donné. Verdissant son image en donnant 1/200 000ème de sa fortune personnelle, il en avait changé son pseudo Twitter en « Treelon Musk » [1].
Au même moment, Tesla annonçait la construction de sa Gigafactory européenne à Berlin qui allait nécessiter la coupe de 194 ha de forêt, mais qui selon l’entreprise allait être compensée par la replantation de 3 fois plus d’arbres [2].
Le même discours allait être employé début 2023 pour sa 6ème et dernière – et de loin la plus grande – Gigafactory prévue à Nuevo Leon, au Mexique, pour laquelle la firme a promis de planter 2 fois plus d’arbres qu’il ne faudra en couper (1600 ha) [3].
Plus récemment encore, Tesla annonçait ni plus ni moins que la création d’un « paradis écologique » de 50 ha autour de sa Gigafactory du Texas, comprenant la plantation de milliers d’arbres et de plantes ainsi que l’élimination des espèces envahissantes [4].
Tesla : le dévoreur de forêts
Pourtant, ces belles annonces et ces projets cultivant avec succès l’image de leader de la préservation du climat et de la transition écologique de l’entreprise d’Elon Musk, masque une réalité bien différente concernant l’impact de Tesla sur les forêts de manière générale, notamment du côté de son approvisionnement en minerais nécessaires à la fabrication de ses voitures électriques. Retraçons le parcours ne serait-ce que du nickel :
Tout commence par son extraction. Le nickel se situe dans les premières dizaines de mètres du sol ce qui implique d’enlever la couverture forestière afin d’exploiter ces mines à ciel ouvert. Depuis 2011, c’est l’équivalent de 3,5 fois la surface de Londres qui a disparu sous les excavatrices (550 000 hectares) [5]. Cette déforestation massive provoque un effondrement de la biodiversité terrestre unique et irremplaçable des îles d’Halmahera et de Sulawesi en Indonésie. Cette dévastation ne fait qu’accélérer à mesure que la voiture électrique est promue et prend de la place dans notre quotidien.
Ajoutons que la nature ne reprendra pas ses droits de si tôt et ne pourra jamais retrouver son état initial. Le relargage de polluants, notamment acides, de métaux et métalloïdes peut durer des centaines voire des milliers d’années, laissant le terrain dangereux et impropre à la vie [6].
Outre la vie terrestre, cette zone située au cœur du Triangle de corail abrite la biodiversité marine la plus riche de la planète. Celle-ci est également anéantie par les sédiments et boues toxiques issues de l’érosion accélérée des sols dénudés des mines. Cette pollution impacte directement la santé et l’activité économique des populations côtières locales se nourrissant majoritairement de poissons – accumulateurs de métaux lourds dans leurs organismes – et menace grandement leur souveraineté alimentaire.
Ensuite la transformation du minerai. Pour obtenir le produit final, il faut extraire le métal du minerai et le raffiner. Un processus qui, outre la pollution chimique et la grande quantité de déchets aqueux, atmosphériques et solides qu’elle implique, génère une deuxième déforestation, indirecte cette fois, et contribue de manière colossale au réchauffement climatique. (Lire notre article : Extraction du nickel – Double déforestation en Indonésie).
D’une part, pour alimenter énergétiquement ses gigantesques fonderies, l’Indonésie – principal producteur mondial de nickel (environ 50%) – utilise la source d’énergie fossile, la plus émettrice en CO2 et donc la principale contributrice du réchauffement climatique : le charbon. On parle ici de 9 millions de tonnes de charbon par an pour faire tourner une seule fonderie (cas de l’IMIP de Sulawesi) et plus d’une centaine son annoncées pour 2024 [7].
D’autre part parce que le charbon doit être extrait – comme le nickel – de mines de surface, générant une autre déforestation, cette fois-ci du côté de l’île de Bornéo. Or, les forêts tropicales sont, avec l’océan, les meilleurs puits de carbone et donc nos meilleurs alliés pour lutter contre le réchauffement climatique. Considérons les comme tels et non comme vecteur de croissance !
Les investissements de Tesla pour le nickel
Le fabricant de voitures électriques est déjà devenu en 2021 le principal client de la mine de nickel de Goro, en Nouvelle-Calédonie. Une ressource (essentielle pour les batteries et la fabrication de ses véhicules) dont l’extraction était jusqu’à présent “sale, destructrice et politiquement lourde”, rapporte le New York Times [9] [10].
Aujourd’hui, Tesla réitère son implication dans les mines de nickel en investissant récemment 5 milliards de dollars dans les mines de nickel et les raffineries d’Indonésie afin de sécuriser l’approvisionnement de ses batteries [11].
Le business des crédits carbones
Plus encore, Tesla s’est enrichi de manière substantielle – 1,79 milliard de dollars en 2023 et pour près de 9 milliards de dollars depuis 2009 – en revendant à d’autres groupes, tels que General Motors ou Volkswagen, non pas des voitures mais … des crédits carbone [12] !!!
Plus précisément, ces groupes automobiles cherchant à répondre au standard d’émission de gaz à effets de serre (GES) exigé peuvent acheter l’équivalent de GES généré par leur entreprise à Tesla, qui de par ses activités, assure qu’une quantité équivalente sera évitée. Il en résulte un enrichissement direct de Tesla et pourtant aucune compensation réelle.
La voiture électrique, le miracle écologique ?
Rentable de part la réhabilitation de moins de 1% des mines à l’échelle internationale et essentielle au maintien de notre croissance économique, l’industrie minière a trouvé l’excuse parfaite pour faire accepter ses désastres humains et écologiques : la transition énergétique[13].
Nous acceptons le jeu de la surconsommation verte, ne sachant plus démêler le mieux de l’inacceptable à cause de l’aveuglement généré par les lobbies. Les promesses cachent bien la réalité de la fabrication des voitures électriques notamment. Pourtant l’avis scientifique assure que “personne n’est aujourd’hui en mesure de calculer le bilan carbone des filières des soixante-dix matières premières minérales contenues dans une voiture électrique” [14]. Tesla ne peut donc assurer le bienfait écologique de ses véhicules et encore moins la réduction des émissions carbone liée à ses activités.
Plus consommatrice en minéraux que la voiture thermique, la voiture électrique ne doit pas être considérée comme le nouveau mode de transport miracle. Bien au contraire, nous ne devons pas la laisser être la raison de la croissance de la production minière et de l’augmentation exponentielle de ses impacts.
L’association Mighty Earth, qui a réalisé une étude sur le sujet [15], estime que l’Indonésie a déjà perdu plus de 80 000 hectares de forêts dans les concessions d’exploitation du nickel, soit l’équivalent de la superficie de la ville de New York. Un tiers des pertes a eu lieu depuis 2019, début du boom de la voiture électrique. Plusieurs de ces concessions servent à approvisionner de grands groupes automobiles comme PSA, Tesla, Ford ou Audi, listés par Mighty Earth. La déforestation calculée est une fourchette basse selon l’association qui ne compte pas les défrichements avant la cession officielle des concessions, ce qui doublerait le total, ni les zones exploitées de manière illégale [16].
Les ONG se mobilisent face à l’industrie du nickel en Indonésie
2000 – Il y a vingt ans, « JATAM Sulteng » a créé un réseau indonésien regroupant de nombreux groupes qui luttent contre les effets négatifs de l’exploitation minière sur l’île de Sulawesi. Découvrez cette organisation.
25 juillet 2022 – Les ONG environnementales membres du réseau environnemental WALHI (Amis de la terre Indonesia) en Indonésie ainsi que des ONG américaines ont envoyé une lettreà Elon Musk suppliant le chef de Tesla de « mettre fin au plan d’investissement prévu par Tesla dans l’industrie du nickel en Indonésie qui impliquera des impacts potentiellement dévastateurs sur l’environnement et la vie des Indonésiens« .
13 septembre 2023 – L’Alliance pour la conservation de Tompotika (AlTo) et l’UICN NL s’inquiètent de l’exploitation minière sur la péninsule de Tompotika, sur l’ile de Sulawesi et craignent pour la survie de l’oiseau mâleo et de nombreuses autres espèces endémiques de Sulawesi. Lire leur article.
10 novembre 2023 – Un collectif d’associations environnementales américaines et de la société civile exhorte le président Biden à réfléchir à deux fois avant de conclure un accord sur les minéraux critiques avec l’Indonésie. Découvrez la lettre de coalition et le communiqué de presse.
18 janvier 2024 – L’association américaine Climate Rights International lance un cri d’alerte contre un centre de traitement du nickel en Indonésie, financé par des entreprises chinoises, qui accentue la déforestation et la pollution et porte atteinte aux droits des habitants. Lire son rapport.
27 février 2024 – L’association Canopée dévoile son enquête « Les minerais de la transition énergétique, une nouvelle menace sur les forêts« . L’enquête montre qu’un nouveau fonds d’investissement pour les minerais critiques risquerait de financer des projets entraînant déforestation et violations de droits humains.
20 février 2024 – Rainforest Foundation Norvège et 31 investisseurs de l’association néerlandaise des investisseurs pour le développement durable (VBDO), avec plus de 2 700 milliards de dollars d’actifs combinés sous gestion, ont signé une déclaration s’attendant à ce que les entreprises renforcent leur prise de mesures nécessaires pour éviter les risques et les erreurs liées à l’activité dans les chaînes d’approvisionnement en nickel de l’industrie des véhicules électriques (VE). Lire leur déclaration. Cette première initiative collaborative d’investisseurs pour les chaînes d’approvisionnement en nickel est soutenue par plusieurs ONG nationales et internationales, notamment Earthworks, Transport and Environment (T&E), Mighty Earth, Madani Berkelanjutan, Auriga Nusantara, Fern, Climate Rights International, Forest Watch Indonesia, Satya Bumi, IUCN-NL and Aidenvironment.
Mars 2024 – Rettet den Regenwald (Save the Rainforest), un groupe de la société civile allemande impliqué dans la campagne pour sauver les forêts tropicales humides, a organisé une manifestation contre l’agrandissement de l’usine Tesla à Grünheide, en Allemagne. Le groupe considère que les habitants de Grünheide ont exprimé leur opposition à l’agrandissement de l’usine. Lire leur communiqué.
Pour résumer
Le nickel est un composant indispensable des voitures électriques (batteries = 50kg de nickel, composants du véhicule, infrastructures et outils de fabrications) ;
Sous couvert de transition énergétique, la communication sur les voitures électriques permet de rendre acceptable l’exploitation minière dans son ensemble ;
L’Indonésie est le premier producteur mondial de nickel ;
Son extraction est un désastre écologique sans précédent ;
Elle génère une déforestation massive de plusieurs centaines de milliers d’hectares de forêt primaire, rempart pourtant indispensable contre le réchauffement climatique ;
Cette déforestation engendre aussi la perte d’une biodiversité terrestre exceptionnelle ainsi que l’anéantissement de toute vie marine à des dizaines de kilomètres à la ronde du fait du relargage des polluants des déchets miniers et des boues toxiques issues de l’érosion des sols miniers dénudés ;
Une deuxième déforestation est produite sur les sites d’extraction du charbon permettant de générer l’énergie colossale nécessaire au traitement du minerai ;
La consommation massive de ce charbon contribue également de manière significative au réchauffement climatique ;
Tesla a investi 5 milliards de dollars dans les mines et raffineries indonésiennes pour sécuriser ses approvisionnements ;
Dans le même temps, la firme se vante de replanter le double ou le triple du nombre d’arbres coupés lors de la construction sur ses giga- factories alors que cela ne représente qu’une goutte d’eau au regard des dégâts occasionnés à l’autre bout de la planète ;
Pire encore, Tesla s’enrichit immensément en émettant et en vendant des crédits carbone.
Aidez-nous à préserver les forêts de Sulawesi !
Face à la destruction massive des forêts de Sulawesi, Naturevolution lance une campagne de crowdfunding pour mettre en place les premières base d’une lutte contre cet inacceptable écocide.
Du 21 décembre 2024 au 4 janvier 2025, Naturevolution vous propose de participer à l’une des expéditions Wallacea Expeditions en compagnie d’Evrard Wendenbaum !
Pendant 2 semaines, autour du massif de Matarombeo à Sulawesi (Indonésie) vous accompagnerez une équipe scientifique dans l’exploration de sites encore inexplorés.