RENCONTRE INSOLITE – Glissant et tournoyant le long de la rivière, un drôle d’animal s’est approché de notre groupe et est venu se placer littéralement sur notre chemin… Dérangé par la présence de notre groupe, il s’éloigne progressivement sous nos regards attentifs, sans manquer ni de beauté ni d’élégance dans sa locomotion silencieuse.
Mais écoutons plutôt un extrait du journal de bord de Louis qui se trouvait aux premières loges.
16 août 2016.
[…] nous remontons la rivière. C’est ici que m’attend un événement providentiel qui aura une grande importance dans ce voyage. Tout en discutant avec notre guide – Bernard, directeur de Naturevolution Madagascar – des sujets divers sur le Makay, un coup d’œil – des plus hasardeux ! – vers mes pieds me fait remarquer un corps longiforme d’un rouge profond qui se contorsionne sous le poids de mon imprudente semelle. Il me semble important de préciser mes pensées : je croyais alors marcher sur une sorte de gros ver enfoui sous le sable. En reculant ma chaussure et en me décalant pour libérer l’infortuné, une chose grise se dressa hors de l’eau et il ne me fallu pas une seconde pour réaliser que j’avais piétiné un serpent – les vers en cachent d’autres, dans le coin. Bien que m’étant exclamé, je crois avoir épargné à mes compagnons un cri de fillette. C’était là un véritable cobra sous mes yeux ! Mais il n’est pas supposé y en avoir à Madagascar, savourons l’incohérence. Bernard pensa d’abord à une couleuvre, et demanda à Stéphanie de prendre des photographies pour une identification ultérieure. Nous avons tourné autour de l’animal qui se laissait porter par l’eau (difficile de dire s’il y était à l’aise). Quand il s’arrêtait, l’eau creusait un sillon autour de sa silhouette ; Nous sommes partis après cinq minutes d’observation. Ce serpent était remarquablement plat depuis le bas du crâne jusqu’à un tiers de sa longueur, mais ne présentait finalement pas l’évasement significatif des cobras. De couleur sable, le mimétisme avec le substrat aurait été parfait, sans le dégradé rouge bordeaux qui se poursuivait jusqu’à l’extrémité postérieure. Sur le moment, j’ai été plus inquiet sur l’état de santé de la bête – j’avais empiété sur son intégrité physique, puis c’est une fascination qui s’éveilla ensuite, jusqu’au soir de ce même jour où elle s’embrasat royalement.
Qui es-tu? Comment t’appelles tu?
Mon nom est Ithycyphus oursi. Un nom à la consonance scientifique qui permet de me différencier de mes cousins Ithycyphus goudoti, It. miniatus et It. perineti.
On me surnomme aussi (nom vernaculaire) Fandrefiala, Tampakasa, Fitibosity, « celui qui tire sur les bœufs châtrés », allusion à la légende malgache selon laquelle ces serpents attaquent les bœufs ou Fananjana barika, « celui qui étrangle les lémuriens ».
Dans le Makay, l’identification de ce beau serpent n’était pas aussi aisée :
De retour au camp, j’ai pu assister à l’interrogatoire des gens locaux : imaginez mon excitation d’alors, il s’agissait là d’un fait relevant presque d’une enquête cryptozoologique. Bernard m’apprit un élément d’importance : il est impératif de questionner les gens un par un, et de ne pas orienter les réponses. Préférez « Qu’est-ce que c’est ? » à « C’est une couleuvre ? ». Ragab, l’ermite qui vivait à proximité, proposa quelques serpents d’après les clichés mais aucun d’eux ne correspondaient. Même chose pour Gaston, Fréddier (qui est pourtant connaisseur des rampants de Madagascar) et les porteurs du groupe – ces derniers ont baptisé notre curiosité par ce qui peut-être traduit de leur dialecte « le serpent méchant aux multiples couleurs ». Personne ici n’a déjà vu cet engin, semble t-il, ce qui est fort encourageant.
Étonnant d’ailleurs l’ampleur que prend le mysticisme qui entoure désormais ce serpent. Je le prenais pour une couleuvre locale, c’est à présent une légende qui hante mes rêves…
Regardez, regardez moi, je suis votre Kaa. Aujourd’hui je pose pour vous, pour quelques clichés qui feront de moi peut être un jour un être aimé pour toujours.
Inoffensif serpent arboricole, mon alimentation est constitué principalement de petits Caméléons ou petits Mammifères. Certes ma posture cobresque, mes mouvements ondulatoires peuvent effrayer mais ils sont cependant de redoutables atouts pour rejoindre les canyons les plus profonds en nageant lentement sur ses ruisseaux envoutant.
Bon à savoir ! Les serpents malgaches sont inoffensifs pour l’homme. Certains possèdent des glandes à venin capable de tuer des petits rongeurs (Madagascarophis sp) par exemple. On compte 62 espèces de serpents, 3 appartiennent aux Boidea, 9 aux Typhlopidea et 50 aux Glubridea. Le taux d’endémisme est très élevé.
Parmis eux des serpents étranges comme le Langaha, fameux serpent en forme de liane, muni d’un appendice nasal développé, différent selon le mâle et la femelle. Parfaitement camouflé, il est très difficile de l’apercevoir dans la nature. Il se nourrit de petits lézards.
Merci à Louis pour son récit, et merci à Christopher Raxworthy et Elodie Courtois, deux herpétologues qui ont réalisés l’identification. Elodie Courtois a notamment participé aux missions scientifiques de Naturevolution dans le Makay en 2010 et 2011. Elle y avait relevé la présence de ce serpent, permettant ainsi de préciser sa répartition géographique.
Retrouvez son portrait vidéo réalisé dans le Makay ici :
BIBLIOGRAPHIE
- Rapport scientifique d’herpétologie, expédition Makay nov-dec 2010 – Elodie COURTOIS, Société Herpétologique de France, et Justin Claude RAKOTOARISOA, association Mitsinjo.