Si les karsts du Sulawesi Tenggara ont été jusqu’à récemment globalement préservés, ils font face depuis quelques années à peine à plusieurs menaces directement liées aux activités humaines. Les contreforts nord du massif de Matarombeo ont ainsi laissé la place à des plantations d’huile de palme, certains endroits de la baie de Matarape sont rasés par les compagnies minières exploitant le nickel, et l’absence d’un système de gestion des déchets dans la région engendre une forte pollution de l’océan par les déchets plastiques.
Certaines des menaces décrites sur cette page ont déjà un impact négatif sur le massif, tandis que d’autres ne se feront réellement sentir qu’à moyen terme, si rien n’est entrepris pour y remédier. Si leur étendue peut effrayer, il est bon de savoir également qu’il existe des moyens d’agir pour contrer ou limiter les impacts de chacune d’entre elles.
La déforestation
L’essor fulgurant au niveau mondial tant de la demande que de la production d’huile de palme a généré ces dernières années une explosion des plantations de palmiers à huile. Ce développement s’est fait largement aux dépens de la forêt primaire, comme sur les îles de Bornéo et de Sumatra qui en comptaient encore beaucoup il y a tout juste 20 ans.
Loin de s’arrêter, le développement des plantations atteint maintenant l’est de l’Indonésie, y compris des zones jusqu’alors difficiles d’accès et qui sont souvent les derniers réservoirs d’espèces ailleurs disparues. Ainsi, Sulawesi a perdu 11% de sa couverture forestière entre 2000 et 2017, et ce sont précisément les zones forestières responsables de l’extraordinaire richesse en biodiversité de l’île qui sont les plus à risque. Dans le Konawe, les forêts périphériques du versant nord du massif de Matarombeo sont grignotées chaque année un peu plus par des plantations. D’autres commodités, comme le cacao, le poivre ou la canne à sucre, ont leur part de responsabilité.
Il est également à craindre que les résidus des produits phytosanitaires (pesticides et engrais) utilisés sur les plantations soient entraînés par ruissellement vers les rivières, puis vers les estuaires, où ils contribuent à polluer et à perturber les mangroves et les écosystèmes sous-marins de la baie de Matarape.
La pollution aux plastiques
Le manque d’infrastructures et d’éducation à l’environnement dans un pays fortement peuplé comme l’Indonésie qui s’est par ailleurs développé très rapidement ces dernières années a conduit à l’absence de filières de gestion des déchets dans de nombreux endroits du pays. Conséquence directe de cette situation, les rivières du pays sont extrêmement polluées et l’Indonésie est le deuxième émetteur mondial de déchets plastiques rejetés dans l’océan.
La zone côtière de la baie de Matarape ne fait pas exception. La plupart des déchets des villages sont jetés directement dans la mer qui, au gré des marées, des courants et des tempêtes, les disperse sur le littoral. Les impacts des déchets plastiques sur l’environnement sont nombreux : les animaux marins les confondent avec de la nourriture ou se retrouvent empétrés dedans, ils causent des maladies au corail, et à long terme se fragmentent en pastilles de micro-plastique qui metteront des siècle à se décomposer.
L’exploitation du nickel
L’Indonésie détient 15% des ressources mondiales en nickel latéritique (le même qu’en Nouvelle-Calédonie), dont la forte demande actuelle est liée à la fabrication des batteries de voitures électriques. Ces gisements sont situés sur les îles de Sulawesi et de Halmahera. Sur l’île de Sulawesi, ce sont les districts du Nord Konawe et de Morowali, bordant respectivement le sud et le nord de la baie de Matarape, qui abritent les gisements les plus importants.
Le littoral de la baie de Matarape est ainsi le siège de dizaines de mines de nickel à ciel ouvert. L’exploitation concerne les couches superficielles du sol : une fois celle-ci terminée sur une zone, la forêt a été rasée, le sol n’a plus aucune structure, cohésion, ni micro-organismes, et les fonds sous-marins adjacents qui comprennent de nombreux récifs coralliens sont étouffés sous des couches de sédiments de couleur rouge. Les sites ayant subi une telle exploitation minière de surface sont par ailleurs les plus difficiles à reforester.
Les compagnies minières réalisant l’exploitation des gisements du Konawe ne mettent pas en place de bassins de décantation sensés retenir l’écoulement des sédiments (particulièrement forts à la saison des pluies) et ne réalisent presque aucune opération de restauration. Quasiment aucun exploitant ne préserve le topsoil, la couche superficielle de terre arable, pour le remettre en fin d’exploitation, comme le demande pourtant la législation. Auparavant exporté brut, le minerai doit obligatoirement être traité sur le sol indonésien depuis 2014, mais de nombreuses compagnies obtiennent des dérogations à cette règle.
Les Acanthaster ou « Couronnes d’épines »
Appelée communément « Couronne d’épines » (Crown-of-thorns starfish ou CoTS), l’étoile de mer Acanthaster Planci est un prédateur des polypes du corail. Dans un ecosystème sain, elle joue un rôle assainissant en éliminant les coraux malades ou en maîtrisant la population de certains espèces par rapport à d’autres. Extrêmement fertile, une seule étoile peut émettre des dizaines de millions d’oeufs en une seule ponte, dont la grande majorité ne survivent pas.
Pour des raisons qui restent encore à préciser (réchauffement climatique, ravinement des engrais utilisés en agriculture intensive, développement côtier et rejet des eaux usées, braconnage de ses prédateurs, etc.), les épisodes de prolifération d’Acanthaster se multiplient et engendrent de véritables ravages dans les récifs coralliens à travers le monde. Plusieurs explosions de population ont été observées depuis 2017 dans la baie de Matarape.
A noter que si le réchauffement climatique et l’acidification des océans découlant des émissions de gaz à effet de serre sont une des principales menaces pesant sur les récifs coralliens à travers le monde, les infestations d’Acanthasters sont responsable pour moitié du déclin des récifs et les détruisent au point de rendre leur régénération très difficile, voir impossible, aujourd’hui.
Un développement touristique non maîtrisé
Encore peu connue, la baie de Matarape ne compte que deux ou trois hébergements et reste quasiment vierge de visiteurs. Mais cela n’est qu’une question de temps avant que ce site somptueux déjà surnommé la « petite Raja Ampat » ne soit ‘découvert’ et apparaisse sur les blogs, les guides, et les agences de voyages locales. Le développement touristique local a déjà marqué une première accélération en 2018. Parmi les conséquences néfastes que cela entraîne : les déchets des touristes laissés sur les plages et les bateaux mouillant les ancres sur le corail.
Pour éviter que le site ne soit défiguré par le développement irraisonné d’infrastructures, que l’affluence touristique ne vienne détruire les écosystèmes côtiers et sous-marins, et qu’enfin la population locale ne tire pas bénéfice de ce développement, il est nécessaire de prendre les devants, en sensibilisant les populations locales à la richesse et à la fragilité de leur environnement et en les aidant à mettre en place un écotourisme durable qui préserve leur environnement tout en leur apportant des revenus. Le tourisme pourra être alors l’une des clés d’une dynamique bénéfique aux populations et aux milieux naturels.
La pêche non durable
Très courante en Asie du Sud-Est, la pêche à la dynamite l’est également dans la baie de Matarape. Celle-ci consiste pour le pêcheur à jeter une bombe artisanale dans l’eau qui, en explosant, tue la vie marine de manière indiscriminée dans un rayon de 50-70m, y compris les juvéniles, les mammifères marins, et le corail. Des séries d’explosions sur un récif rendent sa régénération très difficile. Malgré les dégâts causés à la faune sous-marine et le risque d’effondrement local des stocks de poissons, cette pêche peut s’avérer très rentable à court terme.
La pêche au potassium-cyanure est également répandue car elle permet de capturer vivants des poissons très prisés dans les restaurants de Hong Kong et de Singapore, comme le Napoléon ou les mérous (voir cet excellent reportage photo et ce film du photographe James Morgan sur les Bajaus de Sulawesi et la pêche des poissons de récifs). Elle entraîne le dépérissement du corail situé à proximité et touché par les produits chimiques. La surpêche est également un problème avec des bateaux de pêche industrielle (ci-dessous) venant pêcher illégalement près des côtes, y compris dans des zones théoriquement protégées.
Les cimenteries
Les roches karstiques elles-mêmes sont également l’objet d’une exploitation industrielle, celle du ciment. Auparavant protégées par la forêt qui rendait leur exploitation coûteuse, la disparition de celle-ci et la construction de routes pour les plantations de palmiers à huile les rend de plus en plus vulnérables. A travers toute l’Asie du Sud-Est, qui présente le taux d’exploitation en carrière le plus élevé au monde, les ensembles karstiques sont exploités les uns après les autres jusqu’à que d’impressionants reliefs verticaux ne soient plus que des souvenirs. Cette menace, certes encore éloignée pour le karst de Matarombeo, pourrait un jour devenir une réalité si des protections ne sont pas mises en place dans la prochaine décennie.
Pour aller plus loin
Retrouvez sur le détail de nos premières activités de conservation et notre stratégie à long terme pour la préservation des karsts du Sulawesi Tenggara : Préserver les karsts du Konawe – Helloasso
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English translation made possible thanks to the PerMondo project: Free translation of website and documents for non-profit organisations. A project managed by Mondo Agit. Translator: Cressida McDermott[/tp]